Matteo Falcone
La Côte d’Azur, l’un des plus beaux rivages de notre monde avec ses vues plongeantes sur la méditerranée. Depuis les hauteurs de Gréolières-les-neiges, par vent fort et température élevée, pourtant distante de plus de cent miles, la pointe de l’île de Beauté est visible à l’œil nu. Depuis le vieux port de Cannes et si le vent est favorable, la traversée vers Calvi doit nous occuper un jour et une nuit. Si le vent est favorable, jamais il ne l’est. Nous sommes trois garçons ou plutôt trois marins qui s’attendent en juillet à une traversée difficile, celle-ci commence plutôt mal. Qui écoute trop la météo finit toujours au bistrot, tous les marins le savent. Comme vous vous en doutez, rien ne nous arrête et nous avons pris le large alors qu’un avis de grand frais est annoncé sur les ondes de Grasse radio. Embarquons sur notre half-toner bien armé, étarquons haut la grand’ voile, bordons ferme le foc, la Corse ne nous connaît pas, Napoléon Bonaparte nous voici ! Je vous l’avais bien dit, la météo se trompe une fois sur deux, regardez le foc ne faseille pas, la GV est bien creuse, nous filons 8 nœuds au près serré. Au début, la mer un peu creuse se forme franchement en une houle croisée de sud-suroît. Haut les cœurs, le voilier monte la vague et la descend au surf en se tortillant de bâbord et de tribord. Le tangage pendulaire contrarié par la quille lestée est de plus en plus preste. Burp, faut tenir le coup, la sauce napolitaine et les nouilles de midi commencent à se tromper de sens. Au lieu de cheminer tranquillement vers la sortie, ils stagnent au beau milieu d’un estomac ballonné, chahuté. Les repères visuels sont mouvants, on voudrait que ça s’arrête une seule seconde, le roulis, le tangage s’amendent, semblent s’arrêter et hop, ils repartent de plus belle. En mer pas de répits, nous sommes des marionnettes entre les mains du Tout Puissant. On aurait quand même dû écouter la météo, dis-je en serrant les dents. Trop tard pour calculer d’où vient le vent, une gerbe venant du tréfonds de l’estomac franchit le gosier et les arcades dentaires. Attention devant, un plat chaud arrive sans prévenir. Trop tard pour l’éviter, mon coéquipier d’infortune qui tenait la barre prit tout sur la figure, le dessert compris. Attaché à un chandelier par un bout, il faut toujours avoir un seau dans le cockpit. Vite lancé à l’eau, le seau rempli d’eau de mer nous a sauvés la vie, beurk, c’est la vie, désolé camarade. Rincés, lavés nous prenons un ris dans la grand’ voile et réduisons drastiquement le foc. Le voilier de trente-cinq pieds change totalement de comportement. Au lieu de partir régulièrement à l’aulofée, il se stabilise et redevient manœuvrant. Face à une mer formée, nous franchissons puissamment les déferlantes. Le soir venu, les estomacs amarinés commencent à appeler les équipiers vers la cambuse. Le riz en salade préparé la veille, nous ravit comme s’il s’agissait d’un plat d’ortolans. Le rosé-gris de Tavel gardé dans la glacière est à la bonne température. On devise, on chante, on avance, la nuit tombe, le vent aussi. Que fait-on, toujours l’instant redouté par les voileux, on met la bourrique ? Mettre le moteur pour les puristes, c’est mettre de l’eau dans son whisky, honorer sa bergère avec une « protex ». Après deux heures et une dérive d’au moins cinq miles, la mort dans l’âme nous appuyons sur le bouton rouge de démarrage moteur. Adieu clapot, adieu sifflement du vent dans les haubans, bonjour les boum-boum, les cliquetis, les vibrations, les odeurs, la fumée. L’inverseur aux trois-quarts, la coque file sur la mer calme et laisse à l’arrière une vague constante, immuable. Sur la voie lactée, le mas vertical dessine des zig et des zag, loin de la pollution lumineuse, les yeux découvrent l’immensité de l’univers rapportée à la surface ponctuelle de l’esquif. J’aime me poster debout sur le davier d’étrave, la main ferme autour de l’étai, à oublier le moteur en poupe et contempler l’infini. La nuit installée, les quarts de deux heures rythment notre sommeil de plomb. Dans le cockpit, je m’habille, la nuit de fin juillet est presque froide, la fatigue est intense, il faut lutter contre le sommeil et veiller aux ferries qui transpercent la brume d’été et surgissent de nulle part. La grand’ voile à poste se gonfle doucement, dans une torpeur mystérieuse, je décide de stopper la machine et de voir si le vent nous porte. En bas tout est calme, les deux équipiers sont dans les bras de Morphée, ils sont jeunes et beaux. Prenant mon courage à deux mains et l’écoute de foc de l’autre, je borde les voiles, je règle le point de tire, je choque et mets aux taquets. Le voilier est en appui sur sa gîte bâbord amure, le pré-bon plein est l’allure confortable. Le temps d’ingurgiter trois gorgées de café-rhum maintenu tiède dans la bouteille thermos, un souffle puissant se fait entendre tout près de nous. Miracle, des baleines, une famille de baleines, un troupeau de baleines. Des grandes, des petites tout autour de nous. Pour le spectacle du crépuscule en noir et blanc, tout le monde est sur le pont. Nous sommes des enfants incrédules, nous sommes avec nos amies cétacées qui font les curieuses et voient à quoi nous ressemblons. Le spectacle grandiose a duré plus de trente minutes et nos routes ont bifurquées imprimant en nous un souvenir de paix gravé à jamais. A Calvi, le port est surchargé, les pannes sont complètes, les navires sont côte à côte sur trois ou quatre rangs. Après une telle traversée, nous avons besoin d’avitaillement en eau et en gas-oil, bien décidés à ne rester ici que le temps nécessaire. Après une belle manœuvre en marche-arrière et un appontement en douceur, nous faisons les pleins et remettons les gaz sur le champ, azimut 270°, direction la baie. Le calme de la baie de Calvi tranche avec l’afflux et l’effervescence du port. En début d’après-midi, proches de la plage, nous décidons de jeter l’ancre, de mettre l’annexe à l’eau et la serviette sur le dos. A pieds, nous longeons la longue plage de la baie de Calvi à la recherche de l’endroit idéal pour se poser. Pourquoi pas là, à côté de ces charmantes demoiselles en bikini à fleurs ou à rubans rouges. Nous n’avons pas peur du ridicule, il n’y a personne sur cette plage et nous étalons nos serviettes juste à côté des jolies blondes. Nous attaquons de suite, avant de voir nos tourterelles s’envoler à jamais. L’anglais première langue nous a bien aidé sur ce coup car nos quatre gazelles étaient danoises. Le camping de nos amies était aussi plein que le port que nous avions quitté précipitamment quelques heures plus tôt. Pourquoi ne pas venir se rafraîchir à bord de notre bateau qui ancre à quelque distance du bord ? Plutôt incrédules, les filles nous regardent comme des plastronneurs. Finalement convaincues, nous montons tous à bord pour le verre de l’amitié entre les peuples. Baignades, flirts, bisous, tout se passe comme prévu. Après le diner bien arrosé, les filles expriment le désir de rentrer chez elles, c'est-à-dire dans leurs tentes canadiennes. La déception et la fatigue, liées à notre caractère de gentlemen, nous obligent à ramener nos dulcinées au rivage sous promesse de revenir le lendemain pour une navigation vers la baie de Cacao la bien-nommée. Nous ne croyons pas un seul instant aux belles paroles de nos charmantes danoises et nous sommes persuadés d’avoir entendu le chant des sirènes. A neuf heures tapantes du fond de nos bannettes, qu’entendons-nous ? Ouh, ouh, c’est l’appel de nos délicieuses, le sac à dos bien lové posé sur le sable, dans l’attente de la navette. Bienvenue à bord pour le petit déjeuner mesdemoiselles, en route pour le sud, cap au 180°. Elles sont quatre, nous sommes trois, il va y avoir un chanceux et je suis sûr que je vais être celui-là. Quoi de plus beau, de plus merveilleux que quatre très jolies donzelles nues sur le pont, le corps ouint d’huile solaire, les cuisses grandes ouvertes pour les trois gars ivres de bonheur. L’équilibre ne peut pas se maintenir très longtemps, le désir est trop fort. Les couchettes du bateau ne servent pas qu’à dormir, à tour de rôle les couples descendent les trois marches du bonheur. En tant que chef de bord, je clôture la tournée des artistes au bras des deux jeunesses qui m’avaient choisi dès les premiers regards. A bord d’un bateau, c’est fou ce que les cabines sont étroites, tant mieux car nous aimons la promiscuité. Les pieds des filles s’appuient sur le vaigrage et les jambes s’écartent en grand écart. J’ai oublié les poses que nous avons expérimentées tant elles étaient improbables, le plaisir sans limite. Trois jours de navigation nous ont tous épuisés, il était temps de rentrer. Les filles avaient achevé leurs vacances en divinisation. Adieux déchirants, sans attendre, nous mettons le cap au sud, nous pensons déjà à celles de la baie d’Ajaccio, « de Nantes à Montaigu, la digue, la digue, … de Nantes à Montaigu, la digue du ....