Le film X de Canal +, encadré par un cahier des charges contraignant, est une gentille bluette, comparé à ce qui se trouve dans les vidéoclubs (où les films X représentent 35% des locations). A partir de 1993, explique Pierre Cavalier, journaliste à Hot Vidéo, le mensuel consacré aux films X, la loi de protection des mineurs a contribué à rendre plus hard les productions X. «Avant cette loi, certaines pratiques, comme la zoophilie, étaient interdites. Mais, après 1993, puisque les films ne pouvaient plus, en théorie, être regardés par les mineurs, tout a été permis. Ce fut le début de la surenchère.» Ce porno sans limites porte le nom de «gonzo» et représente, selon Cavalier, 90% de la production américaine qui inonde le marché français (pas besoin de traduction?). «C'est le hard extrême. Il y a quatre ou cinq ans, la mode était au viol.» Aujourd'hui, les violences conjugales sont devenues un genre à part entière. On peut y voir des femmes battues, la tête plongée dans les toilettes dont on tire la chasse et autres actes barbares.
C'est le menu des jeunes qui profitent de l'absence des parents pour regarder ces longs-métrages. Sur une classe de sixième, affirme Denise Stagnara, 60% des garçons et 30% des filles ont visionné au moins un film X. En 1995, elle a mené une étude auprès des CM 2. La moitié des garçons et un quart des filles avaient vu un film X. A 10 ans! En 1973, lorsque les élèves parlaient de l'amour, ils utilisaient 15 mots et, dans ceux-ci, aucun n'appartenait au langage de la pornographie. Entre 2000 et 2005, l'éducatrice a mené une nouvelle étude. Résultat: «Les mots tels que fellation, cunnilingus, sodomie représentent 17,7% du vocabulaire.» Denise Stagnara précise: en 2005, 75% des garçons avaient vu un film porno à 9 ans et 10 mois. 17,5% des filles en avaient vu un à 11 ans et 3 mois.
La télévision a servi de baby-sitter à beaucoup d'enfants. Désormais, à travers le porno, ses codes et ses pratiques, elle est devenue leur prof d'éducation sexuelle. Plutôt mauvais. «Les films hard incitent les jeunes à parler porno et à les imiter, estime-t-elle. A partir de la quatrième, les garçons demandent aux filles de leur faire une fellation.» Benoît Félix, responsable du Cyber Crips, une structure d'information sur la sexualité financée par la région Ile-de-France, raconte qu'un enfant de 9 ans et demi lui avait demandé - avec ses mots - s'il était courant pour une mère d'avoir des pratiques zoophiles.
Les ados ne connaissent souvent de la sexualité que la vision déformée et caricaturale des productions hard. Au moment de leur première relation sexuelle, certains, habitués aux corps épilés des actrices de X, sont frappés de stupeur devant le système pileux de leur copine: ils croient qu'elle souffre d'une maladie. Des gamins de 15 ans réclament du Viagra aux animateurs du Cyber Crips, pour ressembler aux «étalons» des films qu'ils consomment. «Le porno apporte de très mauvaises réponses à des bonnes questions», explique Benoît Félix, qui a accueilli 18 000 jeunes en 2005. «Les ados ont besoin de modèle. Si on ne leur en propose pas, ils vont le chercher dans le X. Or les images pornos les complexent. Plus ils sont complexés, plus ils se sentent humiliés et plus ils deviennent violents.» Une étude de l'Inserm, menée sur 16 000 jeunes de 12 à 18 ans, achevée en décembre 2004, établissait un lien entre le fait de regarder des films X et les conduites à risque (alcool, tabac, violence), même dans les familles d'un bon niveau social. «On ne sait pas lequel des deux comportements induit l'autre, a conclu Marie Choquet, la directrice de recherche à l'Inserm qui a piloté le volet français de l'étude, mais on ne pourra plus dire que la pornographie est anodine.»
Certains, comme Jean-Pierre Bouchard, psychologue et criminologue à l'unité pour malades difficiles de Cadillac (Gironde), vont plus loin. Le médecin affirme qu' «il est très difficile de ne pas mettre en relation le succès du gang bang et l'augmentation des viols collectifs commis par des bandes de jeunes adolescents». Les images hard peuvent traumatiser les plus jeunes. Si l'enfant n'est pas averti que ces images existent, explique le pédopsychiatre Patrick Huerre (Ni anges, ni sauvages, Anne Carrière), «il se sent honteux, comme quelqu'un qui est témoin de violence sans réagir, et la honte le pousse au silence parce que l'enfant se sent coupable alors qu'il est victime». Cet expert auprès de la cour d'appel de Paris assure que, pour se libérer de ses pensées à la fois menaçantes et excitantes, l'ado peut passer à l'acte. «C'est ce que je vois dans les viols collectifs. Si je passe à l'acte, croit-il, je me débarrasse de mes idées.»
Le Dr Claude Rozier, qui, en 1982, a été l'une des premières à s'intéresser au sujet au sein de l'éducation nationale, est plus réservée. «Je ne crois pas que regarder des films pornos déclenche la violence, explique-t-elle. Mais ils induisent des nouvelles normes dans les pratiques et modélisent la manière dont les hommes et les femmes se comportent les uns envers les autres. Il est important de déconstruire les images», prévient-elle, de les expliquer aux jeunes. Le «modèle» de relation hommes-femmes dans le X est simple: la femme ne peut jamais être comblée et elle ne connaît le plaisir que dans la souffrance.
Moins consommatrices, les filles sont souvent victimes du porno. Beaucoup se «sacrifient» de peur de perdre leur copain: elles font ce qu'il leur demande. «Il n'est pas facile de dire non et beaucoup recherchent un semblant d'affection,» explique Benoît Félix. Les garçons pensent que les filles font des manières, mais qu'elles aiment la fellation et la sodomie, raconte Denise Stagnara. Et les filles, même jeunes, m'écrivent: «Madame, pouvez-vous dire aux garçons que ça nous dégoûte?» Pourtant, les éducateurs constatent que, de plus en plus souvent, les filles adoptent le comportement des garçons et deviennent, elles aussi, violentes parce qu'elles souffrent de l'image qu'elles ont d'elles-mêmes: d'autant plus agressives qu'on les traite comme des «putes».