Vrai phénomène ou simple coup éditorial?
Le succès planétaire de " Cinquante nuances de Grey" 560 pages consacrées à une initiation SM n'a pas fini de faire des vagues. Est-ce pour autant que toutes les femmes vont se mettre au fouet et aux menottes?

Anastasia Steele a 22 ans. Elle est vierge, convaincue d'être une fille banale et tombe dans les rets de Christian Grey, un play-boy richissime et dominateur.
Ce personnage beau comme un camion va initier la jeune femme aux plaisirs du BDSM. Autrement dit, la demoiselle découvre la jouissance d'être ligotée, fessée, punie par son amant, le plaisir d'être une soumise consentante.
Cette histoire d'amour à la Pretty woman, maillée de SM soft mais hot , c'est la recette qui a valu un succès planétaire à " Cinquante nuances de Grey" ( éd.J.C. Lattès) une trilogie écrite par E.L. James, quinqua anglaise, mère de deux ados.

"C'est la première fois qu'un livre grand public n'oppose pas le sexe et l'amour. Ce n'est pas porno mais bon enfant, et la sexualité de l'héroïne couvre des fantasmes que nous avons toutes" affirme Isabelle Laffont, pdg des éditions J.C. Lattès, qui ont raflé les droits du livre en France. Après un démarrage foudroyant en format numérique, le livre a été vendu à plus de 50 millions d'exemplaires dans le monde, plus que tous les volets de Harry Potter réunis.
Quinze jours après sa publication en France ( le 17 octobre) sortira une autre trilogie hot, construite selon le même shéma ( le 7 novembre) " Dévoile-moi" (éd. J'ai Lu, de la new-yorkaise Sylvia Day).
Les lectrices françaises s'engouffreront-elles dans ce nouveau genre, baptisé " mommy porn" ( porno à la maman) ?

Ce que les lectrices en pensent :
Susan, américaine, 56 ans, a lu " Cinquante nuances de Grey": " C'est la première fois que je lis une histoire d'amour mettant en scène ces pratiques. Ce que j'adore, dans ce bouquin, c'est qu'il génère zéro culpabilité. C'est franchement émoustillant, comme une invitation à essayer. Et je viens pourtant d'une famille très catho !
Ma soeur, beaucoup plus puritaine que moi et qui va à l'élise tous les dimanches, est un peu gênée de reconnaître qu'elle a prit goût au livre. Pendant la lecture, je me demandais: " Qu'est-ce que ça dit sur moi? Suis-je perverse?" En fait, j'ai réalisé que la sexualité sous cette forme m'attirait. C'est devenu quelque chose de possible.

Pauline, étudiante française de 23 ans a lu " Dévoile-moi":
Je n'avais jamais lu de livres érotiques, mais celui-ci m'est tombé dans les mains dans le cadre d'un stage. J'ai été happée par l'intrigue, il y a un côté addictif. La tension sexuelle permanente est très excitante, cela fonctionne à bloc. C'est cru, c'est cash, mais jamais sordide. On rêve toutes d'un homme magnifique en costard comme Gideon. Son côté dominateur est fascinant et terrorisant. L'héroïne est tellement heureuse sexuellement. Pourquoi ne pas s'y soumettre puisqu'elle y prend tellement de plaisir? C'est une vraie liberté d'être épanouie sexuellement. Cela m'a laissé un sentiment de " Pourquoi pas moi?". Toutes mes copines rêvent d'être attrapées sauvagement. Les hommes doux et gentillets ne nous font pas envie. ça peut être torride quand notre mec ne nous donne pas le choix. Le seul problème: ni eux ni nous n'osons. Pas facile d'avouer ce dont on rêve.


Pour Anna Pavlovitch, directrice des éditions J'ai Lu, chaque best-seller est un miracle, et là, tous les voyants du succès clignotent. "Nous assistons à un phénomène passionnant, explique l'éditrice de "Dévoile-moi". Jusqu'à maintenant, les romans sentimentaux ont été un genre méprisé en France. J'ai entendu des libertins parisiens se targuant d'être des intellectuels qualifier cette littérature populaire de " SM de supermarché". De Laclos au porno chic, le libertinage a toujours été l'affaire des élites, noblesse puis bourgeoisie. Cela a donné quelques rares grands textes et de jolies pubs pour des marques de luxe. Mais pourquoi seul un microcosme parisien se réserverait-il la possibilité d'une sexualité fantaisiste, qui consisterait à s'afficher dans les clubs privés, juchée sur des escarpins Louboutin, des menottes Sonia RyKiel dans un sac Prada? C'est justement tout l'intérêt de ces romances érotiques. Elles donnent du plaisir à la lectrice, tout en la respectant, et lui ouvrent des portes qu'elle n'aurait pas forcément osé franchir...

Bref, revendiquer une sexualité fantaisiste, jusqu'ici réservée aux initiés, serait désormais accessible au plus grand nombre. " Ces romans sont le signe que les mentalités ont suffisamment évolué pour que les femmes assument leurs désirs et leurs pulsions, se réjouit Elisa Brune, auteure de" La révolution du plaisir féminin" ( éd. Odile Jacob). Mais pas au point, toutefois, de jeter le romantisme par dessus bord. Enfin! Il était temps! En plus, pas besoin de disposer de beaucoup de moyens: les scénarios passent par des mots, des postures. Il suffit d'un foulard pour être entravée dans sa chambre à coucher..."

tout l'article écrit par Catherine Castro dans le marie-claire de novembre .