Bonjour.
Tout d'abord, merci de prendre le temps de me lire. Je tiens dès maintenant à m'excuser de la teneur pesante de ce message. Personne n'aime vraiment lire des histoires tristes. Et cette histoire, mon histoire, l'est tout particulièrement. Mais que voulez-vous, la réalité est parfois dure, tout le monde le sait. C'est vrai, la vie n'a pas toujours été très tendre avec moi. Oh certes, je ne suis pas le plus à plaindre sans doute. D'autres ont certainement souffert bien davantage. Et même s'il ne me reste que quelques jours à peine à vivre, je m'estime plutôt heureux quand je repense aux quelques années que j'ai vécu. Surtout, je n'en veux pas aux prostitués, escortes et autres filles de petite vertu, bien qu'elles soient la principale cause de mes souffrances. Oh oui, Dieu sait qu'elles se sont acharnées contre moi les coquines*! Laissez-moi vous raconter.
Je suis né dans une famille modeste, mais heureuse. Nous vivions tous ensemble dans un petit pavillon de banlieue. Ma mère aimait mon père, mon père aimait ma mère et tous deux aimaient leurs enfants*: Léontine, ma grande sœur, et moi, Jacques, le petit dernier. Une famille normale et heureuse donc. En apparence toutefois. Car la réalité était toute autre, malheureusement. Comme trop souvent, ce petit cocon douillet abritait un drame en gestation. Ma mère s'était depuis quelques temps déjà lassée de mon père. Quand elle rentrait le soir elle n'accordait plus grande attention aux petits plats qu'il avait mitonné toute la journée. Elle se murait derrière son journal, buvant des bières affalée dans le canapé familial. Et ce qui devait arriver arriva*: étouffée par la gentillesse de mon père, elle décida de s'encanailler et se mit à fréquenter les filles de joie vers la quarantaine. Mon père s'en aperçut mais fit comme si de rien n'était. Il l'aimait trop pour risquer de la perdre. Précaution inutile*: six mois plus tard, ma mère déserta le foyer et décida de refaire sa vie avec Katia l'ukrainienne, qui paraît-il avait une paire de seins splendides. Grand bien lui fasse*! Mais ce que je retiens d'elle c'est surtout qu'elle a précipité la ruine de ma vie alors que je venais tout juste d'avoir quatorze ans. Je n'ai plus jamais eu de nouvelles de maman. Mon père était complètement abattu. Peu à peu, il se laissa aller. Finis les petits repas soigneusement préparés*! finis les joyeux diners familiaux*! Il se mit à acheter des plats tout préparés. Puis six mois plus tard, ce furent des conserves. Et bientôt il se prit de passion pour les conserves familiales*: des salades de fruits par kilos, des confits de canards par dizaines... Bref, de la nourriture en gros, en très gros même. Si gros même qu'il se cassa le dos en portant une conserve de couscous de 30kg. Il dut s'aliter mais le mal ne passait pas. Lui qui jusqu'alors avait été en pleine santé était désemparé. Il ne savait vers qui se tourner. Au hasard, il se rendit à Paris et entra dans le premier salon de massage croisé. Celui-ci était tenu par des asiatiques qui le convainquirent que son mal pouvait être aisément guéri grâce à une méthode ancestrale, le massage body body. Papa accepta pour son plus grand malheur. La suite, je ne la connais qu'à travers le témoignage de Céline, sa masseuse, dont le prénom français cache une maîtrise très approximative de notre langue. Après lui avoir décoincé le dos en effleurant ses testicules, elle s'attaqua à son ventre. Mon père était nu comme un asticot tout comme Céline l'était. Il n'avait pas vu de femme depuis bien longtemps. Aussi, pour reprendre l'expression de Céline, son petit bâton du plaisir se dressa soudain alors qu'il contemplait la délicate poitrine dodelinante de sa compagne du moment. Fine psychologue, celle-ci comprit rapidement la profonde détresse de mon père et décida donc de lui prodiguer une gâterie. Et c'est au moment où son volcan céleste eut son éruption de lave blanche que son cœur a lâché. Papa est mort d'une crise cardiaque dans un salon de massage. Et, sans vouloir jeter l'opprobre à toute les filles des salons, je pense que Céline ne s'est pas très bien comporté par la suite. Certes, elle affirme avoir alors prodigué l'une des meilleures pipes de sa carrière*: grand bien lui fasse*! Mais pourquoi avoir ensuite découpé mon père et utilisé sa chair pour confectionner nems et autres raviolis chinois*? A l'en croire, ce serait une copine dont elle semblait avoir peur – elle l'appelle «*Mamasan*» - qui le lui aurait conseillé, le salon n'étant pas vraiment en règle et la découverte d'un corps risquant de menacer les affaires. Je n'ai rien contre le business et ses règles parfois un peu cruelles, mais cette décision nous a empêché, Léontine, et moi, de faire correctement notre deuil. Bref, nous étions un peu fâché contre Céline et ses acolytes à la suite de ce regrettable incident. Mais je me dis qu'au moins mon père est mort dans l'extase.
Quoi qu'il en soit, au terme de cette mésaventure, une immense sensation de solitude s'incrusta en moi. Je n'avais pas encore tout à fait seize ans, et j'étais orphelin. J'étais alors encore lycéen, tandis que Léontine avait entamé un cursus de lettres classiques à l'université de la Sorbonne. Nous n'avions aucune source de revenu, mais fort heureusement nos grands parents paternels nous vinrent en aide, payant tous les frais. Toutefois, nous habitions seuls dans le pavillon car ils vivaient dans le sud. Pour mes dix-huit ans, ils montèrent vers la capitale pour célébrer cet heureux événement en famille. Pour des impératifs obscurs, ils firent un crochet par le bois de Boulogne. Là se produisit un terrible accident*: une estafette appartenant à une prostituée eut son frein à main qui lâcha alors qu'elle s'affairait avec un client. Le terrain était en pente, la camionnette recula, et elle percuta la voiture de papy et mamie qui dévia et se prit un vieux chêne de plein fouet. Morts sur le coup.
Brusquement, nous étions sans famille, sans fortune. Nous ne pouvions plus assumer le loyer du pavillon et fûmes contrait de louer un petit studio dans une banlieue sinistre. Les quelques économies qui nous restaient permirent de tenir quelques mois. Nous étions économes. Mais bien vite tout cela n'était plus viable. La vie est chère en région parisienne car appartenir à la frange la plus cultivée et la plus raffinée de la population a un coût. Aussi, Léontine, jeune étudiante justement cultivée et qui plus est attentionnée, n'eut d'autres choix que de s'escortiser. Elle passa une petite annonce et, rapidement, eut plein de nouveaux amis qui défilaient dans notre petit studio ou chez lesquels elle se rendait, toujours bien habillée. Elle aimait fréquenter les hommes bien plus âgés qu'elle car ceux-ci étaient particulièrement généreux. Au-début, elle ne faisait que quelques rencontres par mois, de quoi subvenir à nos besoins. Mais rapidement, les choses ont changé. Je n'ai rien contre la prostitution, et je n'ai jamais jugé ma sœur. Mais force est de constater que sa personnalité s'en est trouvé modifiée. Outre le fait qu'elle passait son temps à se doucher, j'ai pu constater qu'elle était de plus en plus intéressée par ce qu'elle jugeait frivole auparavant. Ainsi, après s'être passionnée pour l'émergence de la prosopopée dans l'oeuvre de François Villon, elle se mit à courir les boutiques en quête des marques les plus prestigieuses. Elle aimait parader avec ses généreux mécènes dans de somptueuses voitures de collections. Bref, elle prit goût au monde du paraître qu'elle vomissait auparavant. Au bout d'un an et demi, elle se trouva un unique client qui l'entretenait grassement. Ils vivaient dans un appartement gigantesque, dépouillé, où les livres étaient rares. Puis avec lui, elle a décidé il y a six mois maintenant de partir à l'étranger. Ils vivent aux Caïmans ou dans quelque autre paradis pour riches. Et de même qu'elle semble avoir oublié qui était François Villon, elle paraît avoir effacé de sa mémoire tout souvenir de son frère. Elle ne me contacte jamais, ne s'inquiète jamais de mon sort, ne pense plus qu'à ses fesses (qu'elle a vraiment fort jolies au demeurant).
Après son départ, je me suis donc retrouvé seul. Terriblement seul. Il m'a fallu m'installer dans un tout tout petit studio. Et pour vivre je travaillais au café**** situé près de la porte Saint-Martin. Je m'y rendais trois fois par semaine jusqu'à ces derniers jours. Dans la journée, ce quartier est habité de nombreuses asiatiques qui font le pied de grue dans l'attente d'une petite rentrée d'argent. De temps à autre, elles marchent. Mais il y a de cela deux jours, elles se sont subitement mises à courir*! Je vous explique. Au loin ont retenti les sirènes de plusieurs camionnettes de police. Alors, d'un seul coup toutes mes marcheuses sont devenues coureuses*! Elles s'égayaient dans tous les sens et, pour mon plus grand malheur, je me trouvais sur leur chemin. Elles m'ont piétiné sauvagement comme l'aurait fait un troupeau de buffles poursuivi par des lions. Et mon corps, depuis, n'est que douleur. Tout y est cassé ou presque et, d'après les médecins, mes chances de survie sont nulles. Dans cinq ou dix jours je ne serai plus parmi vous mes frères humains qui après moi vivrez...
Comme vous avez pu le constater, les femmes qui font commerce de leurs charmes ne sont pas étrangères à mes malheurs. Elles en sont même la principale cause. Mais comme je l'expliquais en préambule, je n'arrive pas pour autant à avoir contre elle mon cœur endurci. Toutefois, je dois avouer que depuis deux jours maintenant je fais parfois ce rêve étrange et pénétrant*: que l'une d'elle, ukrainienne aux gros seins, masseuse chinoise, jeune escorte, tapineuse du bois de Boulogne, marathonienne ou toute autre me propose de m'offrir une fois, gracieusement, ses charmes avant que je ne trépasse. Ce serait un moyen de racheter tous les torts que m'ont fait certaines de leurs collègues. Ainsi, je ne partirai pas avec un sentiment d'amertume contre cette catégorie d'être humains, mais bien au contraire empli d'admiration. Et puis, qui sait, si un au-delà existe, je pourrai peut-être m'y faire le porte-parole de toutes les femmes vénales en démontrant que malgré tous les préjugés, certaines d'entre elles conservent un cœur...
Bien à vous,
Jacques