Elle était connue pour sa gentillesse rayonnante, son sourire permanent. Vedette dans son club, elle m'avait pourtant consacré la soirée (calme) et la nuit (pourtant très peuplée).
Nous avions comparé nos vies, nos rêves, nos actions. Et baiser, bien sûr, avec confiance, avec chaleur. Elle avait baissé sa garde, ronronnante, tactile.
Et puis en chambre, il y avait eu cette ombre fugitive.
"Ca va ?"
"Oui... Non..."
"Tu veux en parler ?"
Une hésitation, et puis elle enlève une pièce de l'armure, celle qui protège les pensées et les angoisses. Elle a posé ma main sous sa mâchoire, où des ganglions marquaient l'infection qui lui ravageait la gorge depuis une semaine. Une semaine de sourires et de baisers et de pipes sur sa gorge en feu.
Puis elle avait descendu ma main sur sa poitrine ferme et élastique. Et là elle m'avait fait sentir sous mes doigts un endroit plus dur.
Ensuite elle avait posé sa main sur son ventre, sous le nombril. "Là aussi j'ai mal. Je ne mange presque plus rien. Mais je ne peux pas arrêter, comme ça marchait bien pendant les vacances j'ai emprunté pour construire au pays, mais quand je suis revenue des habitués avaient choisi d'autres filles, je gagne moins, je dois payer la première traite et le créancier est furieux."
Et puis elle se colle à moi et pleure, en tamponnant les larmes pour ne pas ruiner son maquillage. Et cesse brusquement. "Merci. J'en avais besoin."
Je ne suis pas médecin, je la rassure comme je peux en lui citant d'autres filles pour qui les mêmes symptômes s'étaient avérés bénins. Pour sa gorge nous comparons des recettes de grand-mère (finalement une autre fille lui dénichera un reste d'antibiotiques). Pour sa dette, elle appliquera la méthode malaisienne: payer une bonne somme au départ pour rassurer, et s'engager sur un échéancier qui tienne compte de ses revenus réels.
Trois jours plus tard je lui communique les coordonnés d'un centre de soins pour prostituées, proche, gratuit et surtout anonyme et multilingue. Elle me remercie chaleureusement.
Un mois après quand je la recontacte ses sms sont à nouveau strictement mécaniques.