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Discussion : "La vie qu'on a" : le livre-témoignage d’une fille de l’Est travaillant à Bruxelles

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    Citation Posté par jacky1910 Voir le message
    Pour ceux que cela intéresse
    à voir peut être sur la Une TV à 21h55
    " A quoi rêvent les filles de l'Est?"
    comment peut-on fréquenter des prostituées après avoir vu un reportage pareil..

    je culpabilise à mort.


    http://documentaire-streaming.net/ video dispo ici

  2. #


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    Par défaut Sur BondyBlog : La fille de Strasbourg-Saint-Denis

    De la même eau, un court portrait-interview paru sur ce blog en novembre intitulé : La fille de Strasbourg-Saint-Denis.

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    Aurélio Guest

    "La vie qu'on a" : le livre-témoignage d’une fille de l’Est travaillant à Bruxelles

    Roxana Burlacu, La vie qu’on a : l’histoire d’une fille de l’Est, L’Harmattan/Pepper, 2009.

    Voilà un livre qu’on a envie d’aimer de bout en bout, tant par sympathie pour la démarche de l’auteur, prostituée moldave de 28 ans qui travaille dans le quartier de la Rue des Commerçants (Bruxelles) depuis quelques années, que pour le point de vue des deux sociologues qui ont accompagné Roxana lors du processus d’écriture, l’aidant à mettre en forme et à structurer son texte. Le propos de ces derniers n’est en effet pas de dénoncer la « traite des êtres humains », mais de l’inscrire dans une problématique beaucoup plus large, celle des inégalités économiques et des flux migratoires. D’après Jean-Michel Chaumont, qui a lui-même signé cette année un ouvrage passionnant qui déconstruit le concept de « traite » forgé pour les besoins de la cause abolitionniste au cours des années 20’ du siècle dernier (Le mythe de la traite des blanches : enquête sur la construction d’un fléau, La Découverte, 2009), cette notion servirait surtout, de nos jours, d’alibi à l’expulsion des migrantes économiques que sont les filles de l’Est se prostituant, la plupart du temps de leur plein gré, dans l’espace Schengen. Elle empêcherait aussi de prendre conscience des effets pervers de ces reconduites au pays d’origine, qui aggravent la situation des « victimes » que l’on prétend aider en les replaçant à la case départ d’un point de vue financier et en les rendant à nouveau dépendantes des filières de migration clandestine.

    Dans La vie qu’on a, Roxana commence par retracer brièvement son enfance et son adolescence en Moldavie. Sombre tableau, à vrai dire, qui dresse le portrait sans concession d’une société archaïque, fermée sur elle-même : hommes brutaux, alcooliques ; jeunes filles d’une naïveté confondante, ignorant tout des choses du sexe, déflorées à leur insu ou presque - impossible de ne pas penser, à ce propos, au magnifique Virgin suicides, bien que le contexte social évoqué par ce film se situe aux antipodes.

    Intitulée Une histoire plus longue que prévu, le second chapitre, qui constitue aussi la partie la plus volumineuse de l’ouvrage, narre les pérégrinations de Roxana vers l’Eldorado tant convoité, l’Europe de l’Ouest. Répondant à des petites annonces sans grande ambiguïté, Roxana sait très bien ce qu’elle y fera, mais elle ne se doute pas de la longueur et des difficultés du parcours avant de toucher au but. Au cours de son périple, elle rencontre des gens bien, mais aussi des personnes très mal intentionnées (hommes et femmes confondus), qui profitent de la situation. Même si certains passages y font inévitablement penser (viols par des passeurs ou leurs copains), on ne peut parler à proprement parler de « dressage », du moins organisé et planifié consciemment au sein d’une filière globale, hiérarchisée ; l’impression est que Roxana passe par des petits maillons de chaînes reliés les uns aux autres (mais le maillon initial, appelons-le A, n’a aucun contact et ne sait rien de ce qui se passe au maillon D), avec certains maillons qui représentent l’enfer, et d’autres qui sont pour Roxana et ses compagnes de voyage des moments de répit, et même de bonheur – les étapes chypriotes, notamment, pourvoyeuses de visas pour Roxana et ses compagnes d’infortune. Roxana se prostituera en Turquie, en Italie, puis en Belgique, avec un bref passage en Allemagne. Jamais elle ne s’y trouve véritablement contrainte, malgré sa situation précaire, si ce n’est par l’obligation de gagner sa vie et de rembourser ses dettes envers ceux qui l’ont aidée à parvenir clandestinement en Europe de l’Ouest. Sa légitime fierté est aussi de pouvoir aider sa famille au pays, en lui envoyant régulièrement de l’argent.

    Convaincu par les quelques premières dizaines de pages de ce long chapitre, je l’ai un peu moins été par les suivantes. Le doute à propos de certains détails a commencé à s’insinuer en moi à partir du récit gore de l’accouchement (ou fausse couche ?) d’une des connaissances de Roxana. Il m’est difficile aussi d’admettre complètement certaines étapes du voyage : moi qui suis à l’occasion randonneur en montagne, je comprends mal comment l’on peut marcher 30 heures d’affilées ou presque, sans aucune préparation, avec des bottes en caoutchouc aux pieds ; Roxana explique que le stress et la volonté de parvenir au but a gommé la fatigue et la souffrance physique – il n’empêche, c’est un exploit ! Je m’interrogeais aussi à propos d’une « valise » (p. 143 et 149) - curieux accessoire pour ce genre de voyage – qui devient d’ailleurs « sac » dans les pages suivantes (p. 150). Aussi, par moments, alors que j’avais commencé ma lecture avec la ferme volonté de ne douter de rien, je ne pus m’empêcher de penser à Survivre avec les loups, récit imaginaire, mais présenté comme vrai et sans aucun doute sincère dans ses intentions, de l’errance d’une enfant juive qui traverse l’Europe au cours de la Deuxième Guerre mondiale… Mais entendons-nous bien : si quelques détails suscitent chez moi des interrogations, je ne doute nullement de la véracité de l’ensemble ; et c’est aux deux "parrains" de l’auteur, professionnels de la communication, que je ferais le reproche d’avoir laisser subsister des zones d’ombres. Ils auraient pu, notamment, éclaircir dans des notes de bas de page certains passages qui peuvent sembler un peu forcés – alors qu’ils ne le sont peut-être pas du tout. Outre l’interminable marche à pied, je citerais encore : le bateau de réfugiés coulant au large de l’Albanie, un autre bateau pris sous les tirs de la police, une vague d’assassinats de prostituées de rue en Italie par une sorte de Jack l’Eventreur local – quand ? où ?... Je ne mets pas ces événements en doute, je regrette simplement qu’une note ne m’en dise pas plus. De même, certaines questions juridiques auraient gagné à être expliquées (l’interdiction de séjour pendant cinq ans dans l’espace Schengen, entre autres).

    Ces détails, naturellement, ne doivent pas gommer l’essentiel. Ce que je retiens surtout du témoignage de Roxana, c’est qu’elle ne se pose pas en victime, mais en femme libre, qui assume ses choix : certes, les étapes du voyage – des voyages, en réalité, puisqu’il y en a eu plusieurs - furent pénibles, mais elle savait ce qu’elle faisait, n’accable personne, ne se plaint pas, raconte sans haine, d’un ton neutre, non pas résigné mais en paix avec elle-même et avec son histoire, qu’elle assume de A jusque Z. J’ai beaucoup aimé la fin aussi, où Roxana décrit sa vie à Bruxelles, et les relations avec ses clients et les autres filles. Son métier, elle l’accepte, mais elle voudrait pouvoir l’exercer sans être mal jugée ; car ce qui la fait surtout souffrir, c’est le regard et le mépris que certains lui manifestent dans la rue. Et, bien entendu, sa situation d’illégale, qu’elle ne désespère toutefois pas de régulariser – et c’est bien le moins qu’on puisse lui souhaiter !

    Roxana n’est pas non plus une « oie blanche », et elle ne cache rien du côté « joué » de son activité. Ainsi, elle dit adorer multiplier les manières d’être différentes avec les clients, en fonction de ce qu’elle devine de leurs attentes ; il lui faut donc des qualités de psychologue et d’actrice…. (Par conséquent, messieurs et chers confrères, si vous croyez inspirer du désir, de l’amour, du plaisir aux « filles de joies », vous risquez d’être déçus !) Mais rien de cynique non plus dans le récit de Roxana, car ce n’est pas dans sa nature. Elle-même a appris à ne plus se fier aux apparences, et les gens à qui elle fait encore à 100 % confiance se comptent sur les doigts d’une main, dit-elle. Jamais non plus, contrairement à d’autres filles, Roxana ne profite de sentiments inspirés à un client, qu’elle ne fait rien pour encourager, au contraire.

    Ce livre, outre ce qu’il m’a appris des filières de migration clandestine en Europe, m’a aussi conduit à pas mal réfléchir sur moi-même : comme dirait Roxana, je me pose beaucoup de questions, sur les filles que je vois et sur moi-même, et je n’ai pas toutes les réponses…

    En conclusion, malgré les quelques réserves exprimées, La vie qu’on a me paraît un livre important pour mieux comprendre, de l’intérieur, l’histoire d’une fille de l’Est, et aussi pour nous faire réfléchir sur toutes les questions qu'un tel parcours suscite. Il vaut aussi pour son ton juste, sa « petite musique », et j’espère que les quelques extraits suivants pourront vous le faire ressentir :

    Extraits

    Roxana vient de se faire violer dans une sorte de bordel privé, étape de passage pour les filles dont un passeur fait « profiter » les copains :

    Les filles m’ont dit : « Ça se passe toujours comme ça ici, c’est normal ! » C’était normal d’être traitées comme ça ? Même si demain tu travailles comme prostituée, c’est normal d’être violée ? Je ne suis pas d’accord.

    A propos de son « amour » pour Toni, l’un de ses « passeurs » :

    Les jours passaient et je commençais à tomber amoureuse de cet homme. Aujourd’hui, je vois beaucoup plus clair : je pense que ce n’était pas de l’amour, c’était juste une façon de me protéger de tous les autres hommes.

    La rue :

    Notre travail est difficile. La rue, c’est l’endroit le plus dangereux pour travailler. On a des problèmes avec les gens, la police, le froid et la pluie. Mais en même temps, moi, c’est l’endroit que je préfère parce que c’est en un seul mot la « liberté ». Je peux aller au travail quand j’en ai envie et je peux accepter les clients dont j’ai envie. Je suis libre de faire ce que j’ai envie de faire.

    Roxana et les filles « sans histoire » :

    Je voudrais être comme les autres filles. Mais il y a des fois où je vois des filles, dans un bar, par exemple, assises à une terrasse, ou en train de faire du shopping ; je suis jalouse de ces filles qui ne font pas ce métier-là, qui sont libres… Comment dire ?... qui sont différentes de moi… Je suis jalouse parce qu’elles ne sont pas prostituées comme moi. Mais d’un autre côté, ce que je ressens, ce que je connais, ce n’est pas monsieur tout le monde qui connaît ça ou qui peut le connaître.

    Les dernières lignes :

    Il y a des gens qui ne comprennent pas pourquoi nous, les filles étrangères, on vient en Belgique ou en Italie ou dans un autre pays européen pour travailler. Ces pays sont pour nous une mine d’or. Mais pour entrer dans une mine d’or, on doit prendre beaucoup de risques. Et pour trouver cet or, on doit travailler beaucoup, on doit souffrir et on doit deviner où il se trouve. C’est comme ça que j’exprime mon parcours.


    (Pour info, j’ai eu beaucoup de mal à trouver ce livre, qui ne bénéficie pas d’une très bonne distribution en Belgique. Donc, s’il vous intéresse, il faudra peut-être passer commande chez votre libraire, ou sur internet.)

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