A UNE FEMME PUBLIQUE
Tu es le rejeton d'une société prostituée
Qui partout ensemence à foison ses graines
De misère, de dénuement et de paresse,
Et qui, dans sa gloire, t'a déclarée hors-la-loi.
Avec tes émois juvéniles aux goûts printaniers
Sur les tables de la débauche et de la fornication
Après avoir étanché leur soif
Avec des boissons bon marché, ils t'ont jeté à la rue.
Dès lors, source intarissable, tu partages
La jouissance de ton corps avec l'homme qui, sans amour,
Te pourchasse de ses passions démentes,
Et d'autres fois avec les âmes blessées d'amour.
Ta tendresse généreuse, tu l'as pressée sans ménagement
Dans toutes les veines pleines de désir de mon corps ;
Mon âme assoiffée est à présent pleine de toi ;
Pour le voyageur las que je suis, tu es une oasis.
Ô sœur d'amour inconnue et impersonnelle,
Bénies soient tes caresses éperdues et voluptueuses
Qui, dans mes heures d'affliction m'ont offert
Le doux vin de la félicité et de l'oubli...
La cohorte de tous les rêves d'espoir brisés,
La rancoeur déchaînée par ta souffrance et ton dénuement
Mûrissent dans mon âme comme une vengeance
Et je t'aime de mon fraternel amour.
Missak Manouchian,
Poète, Résistant, Humaniste.