Emilie decoince par ses collegues.
je m’appelle Émilie. J’ai 28 ans, et jusqu’à hier soir, ma vie ressemblait à une grille Excel : cases cochées, couleurs pastel, pas une tache d’encre.
Je suis née un 14 février, jour des amoureux. Ironique. Mes parents n’ont jamais fêté la Saint-Valentin ; ils disaient que c’était « commercial ». Chez nous, on ne criait pas, on ne riait pas fort. On disait « merci », « s’il vous plaît », et « bonne nuit ». J’ai appris très tôt à ranger mes émotions dans des boîtes étiquetées.
À l’école, j’étais la première de la classe, toujours. Lunettes à 9 ans, appareil dentaire à 11, robe plissée jusqu’aux genoux. Les garçons m’appelaient « la calculatrice ». Je rougissais, puis rentrais lire Madame Bovary sous ma couette. J’imaginais Emma avec ses amants, et mon cœur battait si fort que j’avais peur qu’on l’entende.
À Sciences Po, j’ai choisi « Gestion de projets culturels » parce que c’était « sérieux ». J’habitais en cité U, chambre 312, 9 m². Je sortais le samedi soir… pour aller à la bibliothèque. Mon amie Claire me racontait ses aventures Tinder. Je l’écoutais, fascinée, terrifiée. « Tu devrais essayer », disait-elle. Je répondais : « Je n’ai pas le temps. »
Mon premier baiser, c’était à 22 ans, avec Antoine, un étudiant en droit. Il sentait l’eau de Cologne bon marché. Il m’a embrassée dans un couloir, maladroitement. Je suis rentrée, je me suis brossée les dents trois fois, et j’ai pleuré sans savoir pourquoi.
Mon premier amant, c’était Paul, à 24 ans. Trois mois. Il m’a quittée parce que je « planifiais tout, même les câlins ». Je n’ai pas pleuré. J’ai rangé ses affaires dans une boîte, je l’ai mise dans un placard, et je ne l’ai plus jamais ouverte.
À 26 ans, j’ai intégré Lumen & Associés. Tailleur beige, chignon serré, peur bleue de mal faire. On m’a confiée aux plannings d’Alexandre et Malik, les deux directeurs créatifs stars. Le premier jour, j’ai corrigé une erreur dans leur budget sans lever la voix. Ils m’ont surnommée « la glaciale ». J’ai souri poliment. Dedans, je tremblais.
Je vis seule dans un 35 m² près de Bastille. Canapé gris, coussins beiges, livres rangés par couleur. Je cours le dimanche à 7 h pile, j’écoute France Culture, je bois mon thé dans la même tasse bleue depuis cinq ans. Pas de plante. Pas de chat. Personne.
Le soir, je me couche à 22 h 30, après avoir repassé ma chemise du lendemain. Parfois, je me touche, vite, en silence, sous la couette. Je jouis en mordant l’oreiller. Puis je me lave les mains, je me brosse les dents, et je dors.
Je n’ai jamais dit « je t’aime ». Je n’ai jamais dormi nue. Je n’ai jamais laissé la lumière allumée en faisant l’amour. Je n’ai jamais fait l’amour à trois.
Jusqu’à hier.
Hier, à 19 h 32, j’étais sur le rooftop du Perchoir, robe chemise blanche, escarpins nude, un verre de vin blanc à la main. Alexandre et Malik m’attendaient. Alexandre, costume noir, cravate noire, sourire de requin. Malik, chemise crème, manches retroussées, barbe courte. Ils m’ont dit : « Tu viens avec nous. »
J’ai failli refuser. J’ai failli dire : « J’ai des rapports à finaliser. » Mais Malik a ajouté : « On a besoin de ton rire. » Et pour la première fois, j’ai eu envie qu’on ait besoin de moi.
On a parlé boulot. Puis plus du tout. Alexandre m’a raconté Lyon, les déménagements, la solitude. Malik m’a parlé de Dakar, des nuits à danser, de sa grand-mère qui lisait l’avenir dans le marc de café. J’ai bu trois verres. J’ai ri. Vraiment.
À 22 h, Alexandre a posé sa main sur la mienne.
« Tu sais pourquoi on t’a invitée ? »
J’ai secoué la tête.
« Parce qu’on te voit. Pas juste la chemise repassée. Toi. »
Malik s’est penché.
« Et on veut te voir… encore plus. »
J’ai dégluti.
« Je… je n’ai jamais… avec deux hommes. Jamais… comme ça. »
Un silence. Puis Malik, doucement :
« On ne te demande pas de sauter dans le vide. Juste de marcher avec nous jusqu’au bord. »
J’ai fini mon verre.
« D’accord. Mais chez moi. Et à mon rythme. »
Dans l’appartement, j’ai fermé la porte, allumé une lampe tamisée.
« Règle numéro un : personne ne me touche tant que je n’ai pas dit oui. »
Alexandre a hoché la tête. Malik s’est assis sur le canapé, patient.
J’ai déboutonné ma robe. Lentement. Mes mains tremblaient. Alexandre s’est approché, a posé ses doigts sur les miens.
« Laisse-moi t’aider. »
Il a défait chaque bouton. Malik a contourné, a effleuré mes épaules. La robe est tombée. J’avais un soutien-gorge ivoire et une culotte assortie. Je n’avais jamais montré ça à personne.
Alexandre a embrassé ma clavicule. Malik a dégrafé mon soutien-gorge. Mes seins se sont dressés dans l’air frais. J’ai fermé les yeux.
« Oui. »
Ce fut le signal.
Alexandre m’a soulevée, posée sur le canapé. Malik s’est agenouillé, a écarté mes cuisses. Il a embrassé l’intérieur de mes genoux, remonté lentement. Alexandre a pris un sein dans sa bouche, sucé doucement, puis plus fort. J’ai gémi, surprise par ma propre voix.
Malik a écarté ma culotte, posé sa langue sur mon clitoris. Lentement. Circulairement. J’ai agrippé les cheveux d’Alexandre. Il m’a embrassée profondément, sa langue dansant avec la mienne.
J’étais trempée. Malik a glissé un doigt en moi, puis deux. Je me suis cambrée.
« Attendez… »
Ils se sont arrêtés net.
Je me suis redressée, les ai regardés. Les yeux brillants.
« Je veux… vous voir. »
Ils se sont déshabillés. Alexandre : torse lisse, abdominaux dessinés. Malik : peau sombre, muscles saillants, tatouage tribal. J’ai tendu la main, effleuré leurs sexes. Je n’avais jamais tenu deux hommes en même temps.
Je me suis agenouillée. J’ai pris Alexandre en bouche d’abord. Maladroitement. Il a guidé ma tête. Malik, derrière, a caressé mes fesses, glissé un doigt lubrifié entre elles. J’ai tressailli, mais je n’ai pas reculé.
J’ai alterné. Alexandre, puis Malik. Goût différent. Texture différente. J’apprenais. J’osais.
Alexandre m’a relevée, m’a fait m’allonger. Il a enfilé un préservatif, m’a pénétrée lentement. Je me suis accrochée à ses épaules. Malik a guidé ma main vers son sexe. Je l’ai caressé en rythme.
Puis ils ont échangé. Malik en moi, plus épais, plus profond. Alexandre dans ma bouche. J’étais pleine, partout. Je pleurais presque de plaisir.
Ils m’ont retournée. Mon corps tremblait encore des vagues précédentes, mais une nouvelle faim montait en moi, plus profonde, plus interdite. Alexandre derrière moi, Malik devant. Je me suis mise à quatre pattes sur le canapé, les genoux enfoncés dans les coussins gris, les mains agrippant le dossier. Mon cœur cognait comme un marteau, et je sentais l’air frais caresser ma peau nue, exposée, vulnérable pour la première fois de ma vie.
Malik était devant, son sexe dur et épais à hauteur de mon visage. Il me caressa les cheveux, doucement, attendant mon signal. « Oui », ai-je murmuré, et il s’est avancé, glissant lentement entre mes lèvres. Je l’ai pris en bouche, suçant avec une avidité que je ne me connaissais pas, ma langue tournant autour de lui tandis que mes mains serraient ses cuisses musclées. Son goût salé, musqué, m’envahissait, et je gémissais autour de lui, les vibrations le faisant grogner.
Derrière moi, Alexandre s’agenouilla. Je sentis ses mains sur mes hanches, fermes, possessives, écartant légèrement mes fesses. Il n’était pas pressé ; il voulait que je sente chaque instant. D’abord, ses doigts : il en lubrifia un avec du gel qu’il prit sur la table de nuit – j’avais préparé ça, par prudence, même si mon esprit rationnel hurlait encore que c’était fou. Il effleura mon entrée anale, doucement, en cercles lents, me laissant m’habituer à la sensation. J’inspirai sharply, mon corps se tendant instinctivement. « Détends-toi, ma belle », murmura-t-il à mon oreille, sa voix rauque comme un ronronnement. Il embrassa ma nuque, descendit le long de mon dos, mordillant ma peau jusqu’à la courbe de mes reins. Ses lèvres chaudes contrastaient avec le froid du lubrifiant.
Puis, il pressa la tête de son sexe contre moi. Lentement. Millimètre par millimètre. Je sentis l’étirement, une pression intense, presque douloureuse au début, mais mêlée à une plénitude que je n’avais jamais imaginée. « Respire », dit-il, une main glissant sous moi pour caresser mon clitoris, distrayant la douleur avec des ondes de plaisir. Je haletai autour de Malik, mes lèvres serrées sur lui, et poussai en arrière, l’invitant plus profond. Alexandre grogna, ses hanches avançant enfin, me remplissant complètement. C’était serré, brûlant, comme si mon corps s’ouvrait pour la première fois à quelque chose d’interdit.
Malik recommença à bouger, entrant et sortant de ma bouche en rythme doux, ses mains dans mes cheveux pour guider sans forcer. Alexandre, derrière, imposa un tempo lent d’abord : des va-et-vient mesurés, profonds, chaque retrait me laissant vide un instant avant de me reprendre. Ses mains malaxaient mes fesses, écartant la chair pour aller plus loin, claquant doucement contre ma peau. Je sentais ses testicules frapper contre mon intimité, et ses doigts, toujours sur mon clitoris, accéléraient, pinçant, frottant en cercles rapides. La double sensation – pleine par derrière, pleine par devant – me faisait tourner la tête. Des larmes coulaient sur mes joues, pas de douleur, mais d’une extase surchargeant tous mes sens.
Le rythme s’accéléra. Alexandre me pilonna plus fort, ses grognements rauques emplissant la pièce, ses hanches claquant contre moi avec une force contrôlée mais implacable. « Tu es si serrée, Émilie… si parfaite », haleta-t-il, une main remontant pour saisir un sein, pinçant mon téton durci. Malik, synchronisé, baisait ma bouche plus profondément, ses abdominaux se contractant sous mes doigts. J’étais leur centre, leur jouet consentant, et pour la première fois, je me sentais vivante, pas coincée dans une case.
L’orgasme monta comme une marée, déferlant de mon ventre, irradiant partout. Mes muscles se contractèrent autour d’Alexandre, le serrant si fort qu’il jura. Je jouis en hurlant autour de Malik, mon corps convulsant, trempé de sueur. Malik suivit presque aussitôt, se déversant dans ma bouche avec un cri étouffé – j’avalai, surprise par mon propre audace. Alexandre, sentant mes spasmes, se retira enfin, éjaculant en jets chauds sur mes reins et mes fesses, marquant ma peau comme une possession.
On s’est effondrés. Moi au milieu. Tremblante. Heureuse.
« Je… je n’aurais jamais cru… »
Alexandre a embrassé mon front.
« Bienvenue de l’autre côté du bord, Émilie. »
Malik a caressé ma joue.
« Et ce n’est que le début. »
Je n’ai pas pensé aux rapports à finaliser. J’ai dormi nue, entre eux, la lumière allumée. Et pour la première fois, j’ai dit « je t’aime » dans ma tête. Peut-être qu’un jour, je le dirai à voix haute.


