Bienvenue à bord du "Bus Putes" !
En fait, il s'appelle le Lotus Bus et tourne dans Paris pour venir en aide aux prostituées chinoises.
Diane, Rose, Nat et Tim attendent leurs clientes, et il y en a beaucoup. Plus de cent par tournée. Toutes chinoises ou presque, car les bénévoles du bus, sinologues, parlent et écrivent couramment le chinois.
Les habituées passent en coup de vent, chopent le petit sachet blanc, plein de 24 capotes et d'un tube de gel (235 517 préservatifs distribués en 2009) : «
Bonjour, ça va, et toi ? » Parfois un type se pointe, légèrement gêné : «
Vous voulez des préservatifs ? — Euh... non, euh... oui. — Vous savez qu'il faut le pincer en le mettant pour que ça fasse réservoir, sinon ça peut péter quand vous éjaculez... — Oui, oui », marmonne le gars, ses capotes à la main, en s'enfuyant.
Aux nouvelles on présente le matériel : «
Tu connais le préservatif féminin ? Et la digue dentaire ?» Ah, la démo de la digue ! Ce carré de latex qui protège le nez, la bouche, la langue de, « pouah ! l'odeur » 1 «
Et surtout des maladies quand tu fais, tu sais, ce que les hommes réclament souvent, les anulingus... » Et les voilà qui rougissent, horrifiées, honteuses devant tant de vice, refusant d'abord, acquiesçant ensuite: «
C'est vrai, donne-m'en... » Pas très simple pour des femmes n'ayant reçu aucune éducation sexuelle et qui ne connaissaient rien du trottoir avant celui de Paris.
Grâce au Lotus Bus, l'immense majorité de celles qui le fréquentent sont séronégatives, ayant appris à se protéger des maladies. Quand la capote craque, quand un type les arnaque, en cas de problème avec la Sécu, le proprio, la police, les papiers... avec n'importe quoi, c'est ici qu'elles viennent. «
Comment ça, la Sécu te demande une preuve de présence par mois ? Pas légal ! Attends, je te fais un mot ! » «
Tu sais ce que tu dois faire si ça a craqué ?—Je vais à l'hôpital tout de suite ! — Dans l'heure ! Le plus vite possible ! Et le médecin te donnera les médicaments. »
Peu de jeunes — 71 % ont plus de 40 ans—, beaucoup de dames, venues seules pour aider la famille, après un voyage périlleux et coûteux, entre 8 000 et 20 000 euros selon que l'on s'adresse à une agence « normale » ou à un passeur. Et si elles en arrivent au tapin, c'est qu'elles ont, avant, testé l'esclavage ménager chez des compatriotes rapaces. C'est dire...
Au début de son existence, il y a sept ans, le bus était la cible du harcèlement des policiers. Si facile. Il suffisait de connaître ses heures, de se poster pas loin et de ramasser les filles sans papiers. Les protestations furieuses de Médecins du monde sur les bienfaits de la prévention ont un peu calmé ces ardeurs. Mais les flics guettent quand même. Diane, chercheuse et bénévole au Lotus, avec son joli visage asiatique, le sait bien: «
Aux abords du bus, je suis contrôlée sans cesse. »
Récemment, la malheureuse histoire de Mme D. a enflammé' le Lotus. Au fil de passes sous des portes cochères, voitures ou hôtels louches, elle a été une fois battue et volée, une autre fois violée. Du coup, elle avait raconté à Tim : «
Avec mes deux meilleures copines, on a décidé de louer un appartement pour travailler et vivre dans de meilleures conditions !»
Mme D. et ses amies ont quitté leur dortoir glauque ont emménagé chez elles pour 200 euros mensuels chacune. « On mangeait ensemble, ça m'a sortie de ma solitude. Nous étions comme une petite famille. » Chacune surveillant les clients des deux autres.« On gagnait plus d'argent, et c'était beaucoup plus sûr. » Ce « bonheur » a duré quatre mois. Jusqu'à ce que les policiers les embarquent. « J'ai expliqué qu'on louait ensemble, je ne savais pas si j'avais commis un crime ou pas. » Plus tard, Mme D. et une de ses coloc' ont reçu un « avis à victime » tandis que la troisième devenait « proxénète ». « J'étais très surprise, je n'étais pas victime, au contraire, j'étais contente ! » La « proxénète » a écopé d'un sursis et d'une amende de 2 000 euros. Les trois ont retrouvé le dortoir et exercent à nouveau leurs talents dans la rue. Le Bus, unanime, est dégoûté :
« Elles avaient réussi à se sortir d'une situation de merde et l'absurdité des lois les y a replongées ! » C'est sûr, dans la rue, Mme D., ses amies et les 9 387 femmes ayant visité le Lotus en 2009 tombent sous le coup de la loi qui punit le racoler...
Dominique Simonnot
Le canard enchainé 01/09/2010